Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle dans les Chansons des Rues et des Bois. L’art du xviiie siècle remis à la mode, le plaisir à transposer en vers Watteau et Fragonard, contribuaient à élargir ce mouvement. Les Fêtes Galantes, nous apprend M. Lepelletier, furent inspirées à Verlaine par le livre des Goncourt sur ces maîtres. Et l’une des premières pièces de Mallarmé, le Placet Futile, né dans le même temps presque et sous la même inspiration que les Fêtes Galantes, indique déjà ses affinités avec les petites chapelles d’autrefois.

J’ai longtemps rêvé d’être, ô duchesse, l’Hébé
Qui rit sur votre tasse au baiser de vos lèvres.
Mais je suis un poète, un peu moins qu’un abbé,
Et n’ai point jusqu’ici figuré sur le Sèvres.

Nommez-nous... et Boucher sur un rose éventail
Me peindra flûte aux mains endormant ce bercail,
Duchesse, nommez-moi berger de vos sourires.

Le sonnet a été refait pour les Poésies Complètes avec d’intéressantes variantes.

Cette préciosité émaillée rappelle, plus que le xviiie siècle, l’Adone ou les poètes de l’âge d’Élisabeth, et plus encore que ceux-ci Gongora[1]. Ils se seraient disputé une image comme celle-ci.

Bruges multipliant l’aube au défunt canal
Avec la promenade éparse de maint cygne.

Comme eux, comme les Alexandrins qui vivaient autour des Ptolémées, Mallarmé eût fait un charmant poète de cour. Sa préciosité tient en partie à ce qu’il est resté un aristocrate, un mondain qui, outrant son désir d’une plus grande délicatesse et d’un cercle plus intime, a rencontré la solitude. D’un salon très noble et très clos, il garde cette réserve, ce refus courtois de se

  1. Voir dans le numéro 3 de l’Esprit Nouveau un curieux article sur Gongora et Mallarmé.