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de croire que tout ce qui sort de lui est un mystère, « l’innocent, dit Mallarmé lui-même, annonçât-il se moucher[1] ».

Le maître est mort, écrit en terminant M. de Gourmont, la pénultième est morte. Entre la mort de Mallarmé et le rappel du refrain qui revient dans le Démon de l’Analogie, M. de Gourmont établit un rapport qu’il sait n’avoir aucun sens et qu’il croit peut-être par là très mallarméen. Il fait de La Pénultième est morte un motif mystérieux de rêverie. Et de même un critique renseigné, M. Gustave Kahn, dit : « Au temps où Mallarmé publiait ces vers, il y avait la Pénultième, cette fameuse Pénultième, dont on parlait il y a dix à douze ans de la rive gauche à partout ; la Pénultième était alors le nec plus ultra de l’incompréhensible, le Chimborazo de l’infranchissable et le casse-tête chinois[2]. » Et M. Kahn n’indique nullement que le mystère se soit depuis dissipé. Et voilà une obscurité toute factice, puisque la page de Mallarmé, description très technique d’une hallucination qui n’excède pas l’état normal d’un délicat, est d’une précision qui ménage très vite toute la clarté : je l’expliquerai ailleurs[3].

Quelles sont donc les raisons, la nature et les degrés de cette obscurité qu’on blâme ou bien qu’on loue chez Stéphane Mallarmé ?

Moins qu’une obscurité proprement dite, c’est d’abord la réaction d’une nature presque maladivement artiste contre une fausse et dangereuse clarté. Ici encore nous voyons sa poésie se construire contre le génie oratoire. La condensation de la pensée ou du sentiment, le goût de l’ellipse, faisaient partie profondément de l’art classique, qui atteignait l’équilibre suprême, sa raison d’être, lorsqu’il les conciliait avec la clarté, ou plutôt avec une tournure qui demandait à chacun le léger effort nécessaire à ce qu’il se sût gré — et à l’auteur —

  1. Divagations, p. 281.
  2. Symbolistes et décadents, p. 138.
  3. Voir livre II, ch. i, les Images.