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de tant d’affirmations lourdes et inutiles : une poésie pleine de doutes, de nuances changeantes et de parfums ambigus, c’est peut-être la seule où nous puissions désormais nous plaire ; et si le mot décadence résume vraiment tous ces charmes d’automne et de crépuscule, on pourrait l’accueillir et en faire même une des clefs de la viole ; mais il est mort, le maître est mort, la pénultième est morte[1]. »

Au contraire de M. de Gourmont, j’admets à chaque ligne de Mallarmé un sens réel, objectif, qu’a voulu l’auteur ou qu’il a accepté de son inspiration, comme cela se passe dans n’importe laquelle des pages de prose et de vers qui furent jamais écrites. Les doutes, les nuances changeantes dont est pleine, je le reconnais, cette poésie, et qui en font la joie et la difficulté, ne détruisent pas ce sens, mais prennent place dans l’ampleur du cercle qu’il élargit. C’est ainsi que je m’efforcerai toujours de « comprendre » Mallarmé, dût-on m’accuser de jeter sur le sol de cent iris les pavés « d’affirmations lourdes et inutiles ». Comme Mallarmé est un auteur obscur, je me tromperai plusieurs fois ; je compte alors que l’on rectifiera, en serrant de plus près le texte. Et si l’on croit que je méconnais là, vraiment, le génie de Mallarmé en demandant à un « prétexte à rêveries » des motifs d’intelligence, je demeurerai bien tranquille dans le bénéfice évident de mon dogmatisme. M. de Gourmont ayant tort, j’aurai raison. M. de Gourmont ayant raison, j’aurai raison avec lui, et ma rêverie tiendra sa place au même titre que celle d’autrui. Et cela dit, je veux bien que l’on voie, dans ma croyance à l’intelligibilité de Mallarmé, l’hypothèse commode qui autorise à ne rien expliquer, à chercher des termes et non des raisons d’admiration. Parions donc, comme dit Pascal, sans hésiter.

De l’attitude qui ne me convient pas, le moindre défaut est d’ajouter encore à l’obscurité de Mallarmé,

  1. La Culture des Idées, p. 132.