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CHAPITRE VI

LES SOURCES DE L’OBSCURITÉ

Sur l’obscurité de Mallarmé, on a porté des regards très divers. D’elle on s’est fait une idée obscure. Il faut, a dit Hegel, comprendre l’inintelligible comme tel : éclaircissons le principe de cette obscurité.

Il serait naïf de la nier. « L’obscurité de Mallarmé, dit M. Mauclair, ne provient que du degré d’inattention qu’on apporterait à la lire ». Mais il va de soi que c’est la clarté de Mallarmé qui provient du degré d’attention qu’on met à le pratiquer, un degré d’attention qu’il n’est point d’usage, en littérature, de requérir, et dont l’exigence paraît d’abord inadmissible.

Dans un essai, qu’il faut lire, sur Mallarmé et l’idée de décadence, M. de Gourmont écrit : « Si on entreprenait une étude décisive sur Mallarmé, il ne faudrait traiter la question d’obscurité qu’au seul point de vue psychologique, parce qu’il n’y a jamais d’absolue obscurité littérale dans un écrit de bonne foi. Une interprétation sensée est toujours possible ; elle changera selon les soirs, peut-être, comme change, selon les nuages, la nuance des gazons, mais la vérité, ici comme partout, sera ce que la voudra notre sentiment d’une heure. L’œuvre de Mallarmé est le plus merveilleux prétexte à rêveries qui ait encore été offert aux hommes fatigués