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CHAPITRE V

LA PASSION DE L’ARTIFICIEL

Que l’œuvre d’art devienne une œuvre d’artifice, que la spontanéité poétique aboutisse, dans sa perfection, à se cristalliser sous quelque forme savante, cela c’est l’esthétique même du Parnasse. Mais par delà le Parnasse il nous faut remonter à Baudelaire, à son goût raisonné de l’artificiel, dont l’influence s’est exercée jusqu’aujourd’hui sur la littérature d’exception, et que Mallarmé, par une sympathie de tempérament a, dans sa première période et même plus tard, repensé et revécu. On peut au centre de la poésie de Mallarmé placer l’idole baudelairienne, la femme construite, fardée, transformée dans un laboratoire de toilette. On en trouverait l’analogue plus délicatement transposé, dans le goût presque exclusif qui porte Mallarmé vers la chevelure féminine : ses sonnets d’amour, ses évocations de femmes la suscitent immédiatement et presque seule[1]. Sur ce motif, d’ailleurs renouvelé d’un des plus beaux poèmes de Baudelaire, Hérodiade se développe. La chevelure d’abord aperçue fait courir dans les reins du Faune la brûlure du désir.

  1. Voir Paul Delior : La Femme et le Sentiment de l’Amour chez Stéphane Mallarmé (Mercure de France, juillet 1910).