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ment — contre des conventions analogues, contre ce que j’appellerais, d’un terme très général, le donné, contre la manière classique de placer, dans l’œuvre même, l’ordre, la construction, la composition, contre un plan oratoire qui se confond d’ailleurs, s’il est assoupli et vivant, avec une condition éternelle de l’art. Ils ont voulu éveiller l’action de l’œil ou de l’esprit, leur faire créer ou construire, au lieu de leur donner quelque chose de créé et de construit.

C’est de façon un peu arbitraire que l’on peut rattacher à l’impressionnisme la peinture originale de Manet. Mais lorsqu’il juxtapose ses couleurs avec la franchise d’une mosaïque (j’ai été frappé, au musée de Naples, de retrouver dans la Bataille d’Arbèles la construction même de l’Olympia) et qu’il élimine la fluidité intermédiaire, tout le liant des demi-tons, n’évoque-t-il pas la répugnance de Mallarmé à l’atmosphère oratoire ? Le procédé, poussé à son excès logique par le néo-impressionnisme, qui consiste à juxtaposer sur la toile des couleurs pures afin qu’elles se composent dans l’œil du spectateur, au lieu de puiser, sur la palette même, le mélange, procédé dont l’origine chez nous date d’ailleurs du romantisme même et de certaine imitation, vers 1825, par Delacroix, du peintre anglais Constable ; c’est celui même que chez Mallarmé nous retrouverons, rattaché aussi au romantisme, quand nous étudierons sa poésie comme puissance de suggestion.

Ainsi chez les peintres et chez le poète, la solidarité est la même entre les deux sens du mot impressionnisme : impression immédiate notée de frais, impression active à provoquer chez le public, au lieu d’une expression évoquée toute faite.

Que les critiques tout classiques voient ici le terme dernier, la théorie pure, en poésie comme en peinture, de l’anarchie romantique, c’est leur droit : comprendre Mallarmé de cette façon, c’est voir en effet une face, la face sèche et rogue, de la vérité.