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Tout ce qui sert d’intermédiaire, de chaînon entre les sensations, le genre commun qui les unit, cette clarté, cet ordre, cette logique du discours qui les fondent dans la pâte oratoire, tout cela fait défaut à Mallarmé, et de ce défaut s’élancent ensemble la nouveauté et la nudité de son art : des visions ramenées vers leur essence et vers leur cœur, comme

Pour ouïr sans la chair pleurer le diamant.

Dans l’Après-midi et le Toast Funèbre, les deux pièces qui offriraient le mieux l’apparence extérieure d’un « développement », toujours prévaut cette juxtaposition d’images, de l’une à l’autre desquelles on passe sans transition, le fil du poème se faisant de l’arabesque seule que décrit leur apparition successive. Il en est ainsi encore de la prose oraculaire du poète. Joignons-y la contre-épreuve : l’impressionnisme pur fait tellement chez Mallarmé un fond à sa nature et une limite à son expression, que le développement oratoire n’apparaît que lorsqu’il s’agit pour lui de broder délicieusement des riens, de parler pour dire peu de chose, mais joliment, de s’essayer par jeu à cette chronique où il eût pu devenir maître. La signification de sa prose est en raison directe de sa densité. La Dernière Mode, ses conférences, alignent des pages de causerie où des balances en toile d’araignée pèsent des gouttes de rosée. Ce qui ne valait pas la peine d’être tu aux trois quarts, il le disait.

Il serait très inexact d’admettre une influence quelconque des peintres dits impressionnistes sur la poésie de Mallarmé, comme d’ailleurs, en général, d’une peinture sur une poésie. Pourtant ce terme d’impressionnisme qui, dans l’un et dans l’autre cas, paraît si vague, est peut-être, au contraire, fort justement choisi pour désigner ce qu’il y a de parallèle entre un moment de la poésie et un moment de la peinture.

Impressionnisme et symbolisme ont réagi — excessive-