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CONCLUSION 46â

de la parole comme Aristote et ses successeurs séparè- rent les usages du raisonnement, les déployer ou les re- tenir non selon les-moyens du hasard et de la conven- tion, mais selon les moyens impliqués dans l’essence du langage et du livre, précision et allusion, musique et silence, ponctuation et blancs, ligne, page, volume, tout cela forme précisément l’antithèse systématisée de la spontanéité et aussi de la discipline oratoires.

Or toute logique implique une psychologie, comme toute place suppose un espace. J’ai tenté de faire une psy- chologie de celte attitude et de ces conclusions logiques, voulu spécifier cet espace par rapport auquel Mallarmé occupa une place, et dénombré les coups de dés qui pré- parèrent en lui ce songe d’une exi’sterrcre7 que-peut-être le Hasard de la littérature pouvait être aboli.

Mais par delà le Mallarmé réel dont j’ai tenté l’analyse, on pense invinciblement au Mallarmé idéal dont il ne serait que le signe, le Précurseur. Et certes beaucoupdes pages qui précèdent, et celles aussi de M. Paul Valéry, doivent s’entendre de ce Mallarmé hyperbolique. Le fait que sa poésie fut effort, mouvement, empêche qu’il nous soit permis, sauf dans quelque espace contradictoire à la Zenon, de séparer ces deux formes de poète. Au con- traire, par exemple, de l’œuvre de Victor Hugo, en qui nous apparaissent des puissances surabondamment réa- lisées, un génie déployé, jusqu’à sa dernière parcelle, dans son exubérance de lumière visible, Mallarmé ne scmhle-t-il pas, « très blanc ébat au ras du sol », l’em- placement d’une miraculeuse cité, en ruines ? Qu’on m’entende bien : au moment où nous lisons la Prose, YAprès-Midi, tel sonnet, il ne nous importo pas que d’autres poèmes soient ou non dans le livre, dans d’autres livres, sous le nom du même auteur. Il suffit à Mallarmé d’avoir vécu pour trois cents vers admirables qui no ressemblent à rien dans la poésie, pour une vue pro- fonde et neuve du mot, du vers, de la syntaxe, du fait littéraire. Mais ce serait méconnaître l’angoisse et la por- tée de son effort que de le considérer comme une fin»