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446 LA POESIE DE STEPHANE MALLARME

thèque de vins vieux, « phénomène futur », qui accu- mulent en cave trois siècles do vieille vigne française, d’avant la replantation romantique. Quels espaces eût montrés Mallarmé ? Vers, quelles mines à découvrir eût dirigé son influence ? Une seule, la page blanche... Ecris.,, L’écrjture se suffit, incommensurable avec tout. Mais, l’activité littéraire no peut demeurer dans ce for- malisme de l’écrit, do même que l’activité morale, et la spéculation sur la moralo, ont débordé immédiate- ment le formalisme kantien*

Et puisque Kant a donné le type saisissant de tout formalisme, son exemple nous apportera plus de clarté. La loi morale commande par son caractère formel, non par son contenu ; mais comme on ne conçoit pas plus une loi sans contenu qu’une promenade dans un espace à deux dimensions, force lui est d’admettre un minimum de matière, qui, par u.n tour dé force ou de subtilité, se confond avec la forme, puisqu’elle est le caractère même d’universalité qui définit cette forme. De là la règle sur la maxime de l’action érigée en loi universelle. De même, dit Mallarmé, « il est un art, l’unique ou pur qu’énoncer signifie produire... L’instant qu’en éclatera, le miracle, ajouter que ce fût cela et pas autre chose même l’infirmera : tant il n’admet de lumineuse évi* dence sinon d’exister* », Aussi, chez lui, le sujet de l’écrit est ordinairement, par un jeu d’allusions plus qu moins complexes, l’écrit lui-même. Il faudrait, à ce propos, le rapprocher de Boileau, Autour de lui, le sujet de l’écrit, fut, à défaut de l’écrit, l’écrivaif, le poète. Le symbolisme né en partie de la répulsion inspnée pav le naturalisme aux esprits délicats, se plut à déployer, non sous la forme native et lyrique du chant, mais sous la figure littéraire ou livresque du paysage embléma- tique ou du symbole, le? songes le? plus ténus de la vie intérieure. Et le narcissime de l’écrivain se mira dans le narcissime de l’écrit,

1. Divagations, p. 157.