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CHAPITRE III

LE GOÛT DE L’INTÉRIEUR

Le sentiment poétique de la nature, depuis Chateaubriand, traverse notre poésie comme son artère de lumière, à ce point que pour certains le terme de poésie s’est presque confondu avec lui. Construit autour de la nature, le lyrisme romantique s’est fait contre la littérature classique, qui se construisait de l’homme. Mais sa domination ne fut point telle qu’un problème de valeur ne se posât, où se confrontèrent le cœur vivant et battant de la poitrine humaine et le cœur indéfiniment dispersé dans la séduction des choses. Les vers essentiels de la Maison du Berger naissent un peu comme la conscience du romantisme qui se ressaisit après ses ivresses épanouies, se dépouille et se concentre autour du cœur intérieur, en une ferveur lucide et calmée.

Et arrivée à ce tournant très haut, d’où « les grands pays muets longuement » s’étendent, on s’aperçoit que cette « majesté des souffrances humaines » a creusé et formé, dans nos siècles de poésie classique et romantique, la grande et l’immobile voie royale qui, sous les débordements passagers, les unit et les définit. Devant tout éclat de la nature, un Lamartine et un Hugo déjà,