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CONCLUSION 441

faïence. La conversation était lente, solennelle, tout en aphorismes et en jugements brefs. Parfois de grands silences d’un quart d’heure...

« Quant aux discours de Mallarmé, ils avaient tou- jours trait à quelque subtilité d’ordre métaphysique ou littéraire. Aucune vue d’ensemble : mais un amour du détail poussé jusqu’à la minutie.

« Je ne lui ai jamais entendu émettre que des so- phismes exigus, des paradoxes fumeux et des aperçus tellement subtils qu’ils en devenaient imperceptibles 1. »

Ces témoignages, en somme, concordent. La causerie de Mallarmé frappait, comme sa poésie, par ce qu’elle avait d’anti-oratoire. Mallarmé ne développait pas, il indiquait. Il ne disait pas, il suggérait. Il ne parlait pas, comme on parle, pour parler ; il parlait, comme on pense, pour penser. Il figurait à l’auditeur un spectacle de penséo en exercice, comme la femme du Phénomène Futur atteste une preuve de beauté reparue. Il n’atta- quait pas un sujet de front, mais l’enveloppait d’ana- logies. On était frappé non par la matière de l’idée qu’il énonçait, mais par la manière dont il l’énonçait. Le contenu de sa pensée ne vous apportait peut-être pas d’idés neuve, mais la forme de sa pensée vous communi- quait une intelligence neuve, mettait, autour des routes habituelles de l’esprit, des horizons, des lointains, une vapeur inattendus.

De là aussi les limites et l’inconsistance de cette cau- serie qui agissait sur la sensibilité sans meubler la mé- moire; o Les conversations merveilleuses de Stéphane Mallarmé, dit M. Mauclair, n’ont pas été notées par ses amis, et nous devons tenir cette perte pour capitale *. » Mais ailleurs il écrit que toutes les fois que l’on était tenté de noter tout cela « ces fusées s’évanouissaient sans qu’on eût pu rien en retenir. Le thème seul restait dans la mémoire * ». Et M. Retté constate : « Si Mallarmé

i. Le Symbolisme, p. 90.

2. Grande Revue; novembre 1898, p. ig5<

3. Nouvelle Revue, t. CVX, p. 433.