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l’œuvre poétique qu’une manière de poser la question poétique, qui ne s’attacha pas au contenu d’une œuvre, mais à l’idée vide de l’OEuvre, et qui, au sens où Descartes parlait de doute hyperbolique, n’eut de certitude qu’hyperbolique, celle dont témoigne, dans Un Coup de Dés, la dernière page.

Logique d’une pensée idéaliste : selon une route habituelle, étrangement frayée dans le cerveau humain, elle aboutit à cette même hallucination du nombre qui lanta Platon et Comte, leurs dernières années, avec des Idées-Nombres et la Synthèse subjective. Ce platonisme précis, et très inconscient, que j’ai signalé en diverses rencontres chez Mallarmé, le voici à nouveau dans son extrême prolongement. Il est même assez curieux que l’arithmos asymbletos, dont le sens est discuté par les interprètes du platonisme, trouve une traduction, littérale je crois, dans la page III d’Un Coup de Dés « le nombre unique qui ne peut pas en être un autre », et dont l’esprit « reploie l’âpre division », comme il replie, chez le Platon des Idées-Nombres, le multiple en les unités transcendantes de la dyade ou de la triade.

Logique, enfin, de solitude, de mysticisme orgueilleux et doux, Mallarmé, ayant écrit son poème, pensa à la folie, quand il le vit, aérolithe étrange sans communs mesure avec les habitudes. Il resta étonné et saisi devant les points noirs de ce coup de dés lancé contre le hasard qui ne l’abolit pas, qui laisse son angoisse au poète. On ne peut rien préjuger des pages analogues qui devaient à la suite de celles-là former à la pensée de Mallarmé un testament sibyllin. Mais je doute fort que le développement de sa méditation l’eût amené à écrire un poème sur ce thème : Plusieurs coups de dés abolissent le hasard. Cela est pourtant certain et clair. Qu’on se rappelle la loi des grands nombres sur laquelle est fondée la statistique, et qui s’aperçoit aujourd’hui, plus loin encore que le fait social, à la racine des lois chimiques et physiques, de la loi de Mariotte par