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QUATRE TYPES DE SA POÉSIE 421

nombre rythmique, mais sur leur place visuelle, ponc- tuation, blancs, passage d’une musique à une architec- ture; et si, à cette architecture, Mallarmé cherche, cur les gradins des concerts, des analogies dans la musique, c’est que rien mieux que les rapports entre l’art de la durée et l’art de l’espace ne prouve le contact des extrêmes.

Je crois bien cependant que Mallarmé se méprend lorsqu’il pense construire Un Coup de Dés sur un sujet pur d’intellect. L’œuvre s’élève de la pire angoisse, de ce qui brûla davantage à ce cœur tourmenté de conscience, et cette ardeur dans son foyer fait l’ampleur intellec- tuelle de son jet, — hyperbole!

UN COUP DE DÉS JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD. De la notion de hasard, Mallarmé eut — mieux qu’une idée — une sensation singulière. Il serait même curieux de comparer cette sensation, ou mieux cette notion une toute discmv.\e philosophie, celle de Cournot. « Hors nous-même, disait Mallarmé dans quelque conversation, l’univers est le domaine sans borne du Hasard. Toute action humaine certifie le hasard qu’elle voudrait nier ; par le seul fait qu’elle se réalise, elle emprunte au hasard ses moyens. Mais le hasard en peut faire jaillir un monde ’ ». L’écriture, pour lui, c’est « le hasard vaincu mot par mot 2 ».

Cette hantise du hasard est née en lui, comme le choc en retour d’un effort intense. Sans cesse — et ce ressort de son ambition est aussi l’un des secrets de son im- puissance — il veut réaliser son œuvre comme un ab- solu : tendance d’ailleurs liée au caractère du vers (un vers est une ligne absolue) et qui paraît ainsi comme l’hyperbole du métier poétique. Et il éprouve que cela même qu’il veut absolu lui est suggéré par le hasard, par les circonstances (par une autre chaîne d’œuvres peut-être, quoiqu’il se raidisse contre le cliché). Pareil- lement l’idée d’absolu est, pour un philosophe critique,

1. Albert Mockel. Un Héros (Stéphane Mallarmé) p. 48.

2. Divagations, p. agi.