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ques en rapport très exact avec l’attention graduée dont le lecteur dispose. Mais ce titre de typographie saillante, il le conçoit comme une phrase unique, motif essentiel, dont les mots sont espacés dans l’œuvre, laissant, entre leurs intervalles, place à des motifs moins importants qui en comportent d’autres encore plus secondaires. « Mobiliser, autour d’une idée, les lueurs diverses de l’esprit, à distance voulue, par phrases[1] ». « La fiction affleurera et se dissipera, vite, d’après la mobilité de l’écrit, autour des arrêts fragmentaires d’une phrase capitale dès le titre introduite et continuée[2] ».

L’esthétique typographique de la page s’applique naturellement à la prose, non au vers, à qui ses moyens anciens, intacts, absolus, suffisent. Mais plutôt une telle forme permet « à ce qui fut longtemps le poème en prose, et notre recherche, d’aboutir, en tant, si l’on joint mieux les mots, que poème critique ». Comprenons bien : œuvre de pensée, exposition didactique si l’on veut, mais par intuitions discontinues. Impossibilité de sa nature, le mauvais génie que, des lettres, Mallarmé continue à exorciser, c’est le génie oratoire : « Chaque phrase, à se détacher en paragraphe gagne d’isoler un type rare avec plus de liberté qu’en le charroi par un courant de volubilité ». En d’autres termes remplacer le discours, la continuité oratoire, l’esthétique auditive, par un espacement sur des blancs, une construction visuelle, du silence et de la réflexion incorporés à une page vivante. Ce matérialisme étrange est, je l’ai dit déjà, la rançon nécessaire, ironique un peu, d’un idéalisme extrême.

Pourtant, cet essai et ceux qu’il projetait, Mallarmé les donnait comme faisant, d’une certaine manière, un essai de vers libre : « Sans doute y a-t-il moyen là, pour un poète qui par habitude ne pratique pas le vers libre, de montrer, en l’aspect de morceaux compréhensifs et

  1. Divagations, p. 373.
  2. Observations relatives au poème. Un coup de Dés. (Cosmopolis mai 1897.)