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mieux que consoler, qui couronne et qui achève... Mais pendant que s’apaise le flot de lumière antique qui la suscita, comme l’ardeur de midi décroît, le faune main- tenant plus impatient de vivre repose la flûte, et la renvoie, pour une autre heure, pour qu’encore elle y refleurisse vierge, aux lacs où il la cueillit. C’est de lui seul maintenant, c’est de son cœur et de sa chair passionnés qu’il évoquera les fantômes d’amour.

Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide,
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers.
O nymphes, regonflons des SOUVENIRS divers.

Alors reprend ce motif qui tout à l’heure ne préludait que comme un « vol de cygnes, non ! de naïades » en fuite vague sur de l’eau. Il reprend exalté, voluptueux, et maintenant le Souvenir ;tord dans une flamme de désir

chaque encolure
Immortelle, qui noie en l’onde sa brûlure.

II suscite l’image du faune impatient qui s’élance, qui retrouve hors de l’eau les deux nymphes entrejointes.

(meurtries
De la langueur goûtée à ce mal d’être deux)

et qui, les emportant sans les désenlacer, tient dans le fardeau nu le poids de la nature et de la beauté fondues, intactes, les vierges qui se débattent en un seul corps, la lèvre en feu buvant d’un trait « la frayeur secrète de la chair »

Des pieds de l’inhumaine au cœur de la timide.

Touffe naturelle de la joie parfaite, qu’il n’a su garder. Il revoit sa faute : n’en avoir retenu qu’une, la voluptueuse, arrêtant à peine