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CHAPITRE II

L’APRÈS-MIDI D’UN FAUNE

Dans l’œuvre de Mallarmé, l’Après-Midi d’Un Faune est le morceau des connaisseurs. Ce poème forme le point central, parfait, à la fois simple et raffiné, où viennent converger toutes les directions flexibles, toutes les époques de son talent. On y touche toujours cette fraîcheur, cette pulpe de verbe poétique, qui font de ses pièces du premier Parnasse une corbeille de fruits matineux ; on y goûte déjà ces voiles d’obscurité si vite diaphanes, ces significations qui s’enroulent, se succèdent par tournants multipliés, ces gestes d’allusions, ces espaces de silence autour de symboles, tout ce qui donnera aux derniers vers leur mystère et leur fuite. La forme de cette églogue est la plus ductile qu’ait assouplie Mallarmé, et ses vers ont la légèreté, la pureté, la longueur indéfinie d’un rayon d’étoile.

Le motif en est certainement sensuel ; mais Mallarmé, au fur et à mesure de la composition poétique, laisse spontanément, sans intention artificielle et sans concordance forcée, se déposer, dans les lignes du sujet érotique, des symboles que, moitié de nous-mêmes et moitié des allusions indiquées, nous menons jusqu’à un ciel métaphysique et calme.