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comme dans l’intensité de l’amour, une adaptation supérieure qui tendrait à une fusion ? Or « est-ce que ne paraît point la danseuse à demi l’élément en cause, à demi humanité apte à s’y confondre dans la flottaison de rêverie[1] ? » Un esthéticien allemand dirait qu’elle est la synthèse de l’objet et du sujet, l’objet s’assimilant l’harmonie et l’unité du sujet, le sujet s’extériorisant selon la forme de l’objet et il partirait longuement sur une théorie de l’Einfühlung. « La représentation figurative des accessoires terrestres par la Danse, contient une expérience relative à leur degré esthétique, un sacre s’y effectue en tant que la preuve de nos trésors. » Représentation au moyen d’une suite vécue et dite par l’orchestre, dans une durée ; moment qui passe et qui, une fois piqué par la danseuse se mue en un autre, — ce théâtre étant un ordre de chose momentané. « Une œuvre dramatique montre la succession des extériorités de l’acte sans qu’aucun moment garde de réalité et qu’il se passe, en fin de compte, rien[2]. »

Cette synthèse de la poésie, de la musique et de la danse figure très bien, et logiquement, la fin idéale de la poésie mallarméenne.

Le théâtre actuel est une convention lourde, de même que la poésie dont a voulu se délivrer Mallarmé. Je l’ai rappelé ailleurs : la poésie parnassienne, de même que la poésie classique, et au contraire du grand lyrisme romantique (j’exagère à dessein les contrastes, comme les reliefs d’une carte) nous impose, du dehors, des notions bien dites et exactement représentées, des visions plastiques et des analyses sentimentales, alors que le rôle vrai de la poésie est de nous suggérer une émotion qui se développe en nous de façon vivante, sympathiquement à celle du poète. De même le théâtre classique — et celui des modernes n’a fait que le suivre — a lieu sur une scène hors de nous, séparée du spectateur par l’obs-

  1. Divagations, p. 158.
  2. Divagations.