Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De l’éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de douleurs.

(L’Azur.)

« Belle indolemment comme les fleurs » relie peut- être l’Azur à ces Fleurs où Mallarmé, après les premières strophes, est si vite repris par la stérilité, fleurs dont la beauté s’étale devant lui, ironique et désespérante, sans qu’à son poème il la puisse incorporer. Voilà ce qu’est devenu, dans le Parnasse de métier, le thème lyrique du Lac et de la Tristesse d’Olympio. Cette douleur de vivre, qui tire ses raisons du labeur littéraire, Flaubert nous a rendus familiers avec elle. Tous les tourments, pour Mallarmé, viennent se résumer et s’achever dans cette lutte contre le papier blanc, que Flaubert mena à bout — jusqu’à ce qu’il en mourût — avec une volonté et une ténacité de géant normand. Volonté, ténacité, fond de santé qui manquent au poète de l’Azur. Le miracle des strophes, des images uniques, mûries à un soleil nouveau, n’atteignait que quelques cimes privilégiées de son temps, laissait le reste infécond et obscur.

Et en face de l’Azur, de cette conscience baudelairienne, de cette impuissance lucide, je songe par contraste à tels poèmes de Victor Hugo, ceux-là où l’azur s’étale comme un infini chantier de pierre bleue, dont le poète est le maître souverain, à la fois ca nirrier, maçon, architecte, sculpteur, — le Satyre, Plein Ciel, le Nemrod de la Fin de Satan. Et le vol de Nemrod, par quelle injustice superbe, quelle violence assyrienne, lève-t-il dans notre mémoire la splendeur déroulée de ses vers, pour étouffer la beauté triste de l’Azur mallarméen ?

                        Donne, ô matière,
L’oubli de l’Idéal cruel et du péché,
À ce martyr qui vient partager la litière
Où le bétail heureux des hommes est couché.