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— où le prêtre, un seul moment aperçu, reste par l’iconostase séparé de la foule?

La contradiction est réelle entre la poésie ésotérique de Mallarmé et ce souci de la foule, dont il veut, dans le drame, la présence. Pourtant ne l’exagérons pas. À la messe, les mots d’un latin incompris suffisent pour que l’âme, sur eux, comme Quasimodo sur son bourdon, s’envole. Et du poème à la foule, il y a des gradins, une sorte de médiateur plastique, qui est la musique.

« Le miracle de la musique est cette pénétration, en réciprocité, du mythe et de la salle, par quoi se comble jusqu’à étinceler des arabesques et d’ors en traçant l’arrêt à la boîte sonore, l’espace vacant, face à la scène[1]. »

Aussi le concert dominical, incomplet puisque la musique y demeure seule, est-il au moins le « lavage à grande eau du temple » avant la solennité où descendra le dieu. Du bâton qui gouverne l’orchestre, non seulement la musique, mais la foule, s’épanouit, se déplace, ondoie avec docilité

Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leur bâton agitent en cadence

Musique et foule, dans la rêverie du poète, se fondent en une même matière, une pâte mystique que brasse le meneur de sons.

Le vieux mélodrame populaire, le drame accompagné d’une musique, lui paraît satisfaire ingénieusement à une loi profonde du vrai théâtre[2]. Le théâtre ne doit pas me faire pleurer, j’ai assez de mes douleurs d’homme ; mais il doit — et je ne sais pas si j’interprète ici fidèlement la pensée un peu fuyante de Mallarmé — me donner comme l’Idée des larmes. Il satisfait à cette fin en tenant en suspens — ainsi que le lustre de la scène — « une larme qui ne peut jamais toute se former ni choir ». Car au plus noir, au plus insoluble, au plus

  1. Divagations, p. 304.
  2. Divagations, p. 159.