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Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu’un glaive sûr ;
Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?
Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !

Faiblesse, déchéance nerveuse du malade enfermé. Au contraire du moine qui trouve Dieu dans sa cellule, le poète ne rencontre dans sa chambre que de l’ennui vide à remâcher, l’hallucination maintenant amplifiée des bruits qui montent. Il est naturel que Mallarmé ait été promu à la célébrité par quelques lignes d’Huysmans, mis comme lui en fuite de la vie par l’exubérance de nature extérieure, et de qui aussi le goût flamand a, dans quelques lignes de la Cathédrale, exorcisé d’un coup de goupillon le démon méridional de l’Azur.

Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.

Le sonnet d’Angoisse, d’un baudelairisme fervent, met à cette pierre basse de prison une clef de voûte bizarre et lubrique, où se ramasse et se précise sous des formes de chair l’impuissance désespérée.

Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous des rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.

Car le vice rongeant ma native noblesse
M’a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité

Par un cœur que la dent d’aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

Et ce tourment, chez Mallarmé, est un tourment littéraire autant qu’un tourment humain,