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vendication, bizarre, que s’exhale, y flotte à leur luxe analogue, l’atmosphère mentale. Voyez l’usage d’un livre, si par lui se propage le rêve : il met l’intérieure qualité de quiconque habite ces milieux, autrement banals… en rapport avec ce délicieux entourage, qui sinon ment.

« Sur la table, autel dressant l’offrande du séjour, cela convient que le volume, je ne dis pas anime incessamment les lèvres, figurées bien dans leur jolie inoccupation par un loisir de bouquets de roses issu de quelque beau vase à côté ; mais — soit là — simplement — avec un air de compagnon feuilleté — on ne sait quand — et au besoin — pour que vraisemblablement le tapis où ce coffret spirituel aux cent pages, entr’ouvert, avec intention fut posé, en fasse comme tomber authentiquement ses plis brodés d’arabesques significatives et de monstres[1]. »

Pour répondre à tous ces motifs de beauté qui l’appellent du dehors, il faut que le Livre soit l’œuvre d’une architecture subtile et préméditée.

« L’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète qui cède l’initiative aux mots. » Mais par là n’est nullement impliqué le désordre lyrique. Au contraire : le poème, le livre, réclament pour eux la personnalité, et « une ordonnance de livre de vers poind innée ou partout, élimine le hasard ; encore la faut-il, pour omettre l’auteur[2] ». Mallarmé rêve pour le livre de vers, dans une sorte d’espace orienté et vivant, une disposition compliquée : limite de théorie, vers laquelle se jouent ses pressentiments : « Des motifs de même jeu s’équilibreront, balancés, à distance, ni le sublime incohérent de la mise en page romantique, ni cette unité artificielle, jadis, mesurée en bloc au livre. Tout devient suspens, disposition fragmentaire avec alternance et vis-à-vis, concourant au rythme total, lequel serait le

  1. Villiers, p. 53.
  2. Divagations, p. 246.