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CHAPITRE X

LE LIVRE

Pisistrate ayant fait, selon une légende, rédiger sur papyrus les poèmes d’Homère, qu’avant lui les Athéniens entendaient seulement des rapsodes, est loué par Élien d’avoir le premier « montré » l’Iliade et l’Odyssée. Du jour où elle était ainsi montrée, non plus seulement écoutée, la poésie prenait place sur la pente qui devait la conduire aux grammairiens d’Alexandrie. Cela, plus tard, l’imprimerie le refit en grand, et maintenant, par la toute-puissance du Livre, la littérature nous est « montrée », nous la voyons, et une beauté fille du temps s’enclot dans une figure de l’espace.

Non sans résistance, sans la conscience d’un de ces conflits insolubles, nécessité de toute vie, atmosphère de toute force agissante. J’ai dû indiquer déjà le rôle des éléments visuels dans le vers français, tout ce legs de réalité écrite qui scandalise, grammairiens ou poètes, les phonétistes. Là-dessus Mallarmé réfléchit avec persévérance. Il fit, sur le concept, sur la réalité du Livre, porter une méditation métaphysique qui ne paraît étrange et tout imbue d’éléments mystiques que parce que les hommes du Livre usent du Livre comme de l’es-