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Schopenhauer le premier avait vu dans la musique l’art par excellence, total, puisqu’il restitue, de la matière à l’homme, la volonté entière, et que le monde, tout aussi bien que comme une objectivation représentative de la volonté, peut être considéré comme une incarnation de la musique : « Elle exprime ce qu’il y a de métaphysique dans le monde physique, la chose en soi de chaque phénomène[1] ». C’est ce sentiment de la musique comme totalité, qui, joint à des réflexions sur l’esthétique théâtrale, conduisit Wagner à l’œuvre qu’il réalisa. Ce que Mallarmé imaginait du poème, il le trouva alors rayonnant dans la musique wagnérienne et il se pencha sur elle pour reconnaître les secrets qu’elle avait dû dérober à la poésie : « Amenez les théories de Mallarmé à une conclusion pratique, dit M. Symons, multipliez, à mesure, ses moyens — et vous avez Wagner. C’est sa faiblesse de n’être pas un Wagner[2] ».

Cette idée du Livre et cette idée du Théâtre, l’esprit de la musique les présente alternativement à l’intelligence de Mallarmé. Voilà, de son monde poétique, les deux grandes terres inconnues, circonscrites d’un trait ondoyant, aperçues et bercées, seulement, de la mer, dans un flottement où alternent la lumière et des brumes : toutes deux vont maintenant nous étager sur sa poésie, parmi son rêve, leur cime de neige, sans un pas d’homme.

  1. Le Monde, I. p. 274.
  2. A. Symons, The symbolist movement, p 117.