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perceptible d’une virgule a introduit l’air, la lumière, la vie. De même « il installe ainsi un milieu, pur, de fiction[1] ». (Qui s’imposerait d’ailleurs à tout le monde par la nécessité d’éviter l’amphibologie.)

Voici une phrase que j’ai déjà prise comme texte d’une autre remarque : « M’abstraire ni quitter, exclus, la fenêtre, regard, moi, là, de l’ancienne bâtisse sur l’endroit qu’elle sait ; pour faire au groupe des avances, sans effets[2]. » Le point et virgule, sans raison dans la grammaire, n’en a-t-il pas une dans l’imagination visuelle et motrice de l’écrivain ? Il semble que la pause plus longue qu’il met avant le pour exprime la descente d’escalier et l’intervalle qui s’écoule, la disparition momentanée entre le moment de la fenêtre quittée et celui où le poète s’en irait trouver le groupe de terrassiers.

« Je vis… que j’étais devant la boutique d’un luthier vendeur de vieux instruments pendus au mur, et, à terre, des palmes jaunes et les ailes enfouies en l’ombre, d’oiseaux anciens[3]. » La ponctuation usuelle voudrait « à terre, des palmes jaunes, et les ailes, enfouies en l’ombre, d’oiseaux anciens ». C’est la ponctuation logique, qui rattache le génitif au nominatif dont il dépend. Celle de Mallarmé suit non l’ordre des choses, mais l’ordre des sensations. « Les palmes jaunes et les ailes enfouies en l’ombre » sont mêlées comme un tout des yeux, que la ponctuation romprait à contre-sens. L’explication « d’oiseaux anciens » est un nouveau moment de la pensée, une réflexion qui interprète, et elle implique, pour la séparer de l’impression, la virgule.

De même : « Appréhension quant à cette heure, qui prend la transparence de la journée, avant les ombres puis l’écoule lucide vers quelque profondeur[4]. » L’absence de ponctuation, qui surprend, après ombres, s’explique. Puis signifie : dès les ombres venues. Il s’oppose

  1. Divagations, p. 187.
  2. Divagations, p. 52.
  3. Divagations, p. 14.
  4. Divagations, p. 52.