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teur à constater que la notation de vérités ou de sentiments pratiquée avec une justesse presque absolue, ou simplement littéraire dans le vieux sens du mot, trouve, à la rampe, vie. »

La ponctuation est ici, vraiment, le substitut du mot, et, de façon bien mallarméenne, la réticence ou l’absence qui en évoque la seule mobilité suggestive. Les mots, prépositions et conjonctions, cèdent la place à des signes de position et de disjonction. Nous établissons d’ailleurs entre la ponctuation et les mots dans l’écriture, entre les arrêts et les intonations de la voix dans la parole, une distinction toute artificielle : la disjonction de la virgule rentre dans le même genre grammatical que la conjonction et, à laquelle elle s’oppose ou qu’elle remplace, selon les cas.

On suit avec un plaisir curieux, chez Mallarmé, la virtuosité des coupes syntaxiques. Dans le Nénuphar Blanc, arrêtant sa barque sur la rive d’un parc, un bruit le fait douter si l’habitante du bord ne s’approche pas de l’eau : « Connaît-elle un motif à sa station, elle-même, la promeneuse ». Les trois membres de la phrase, dont les deux virgules marquent les articulations, se présentent dans l’ordre inverse de l’usage français qui exigerait « La promeneuse elle-même connaît-elle un motif à sa station ? » 3-2-1 remplace 1-2-3. Ne dirait-on pas que cet ordre inverse des trois membres, comme la tête, le buste et les jambes se mireraient réverbérés sous l’eau, suspend la vision même du rameur ?

La phrase périodique, pour sceau de son unité, a son terme, sa « chute ». La phrase de Mallarmé, antithèse de la période, au lieu de chute comporte un arrêt sur le mot décisif, ménagé ou rejeté, qui de cet arrêt la soutient par « la plus authentiquement nouée, comme une boucle en diamants, des ceintures ». Ce mot isolé, monosyllabique souvent, qui termine, est le contraire même de l’ample courbe finale décrite par le vieux carrosse de la prose rythmée, le contraire de l’esse videatur. Pour intérieur, une belle période mé-