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Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d’hivers
Salut

Solitude, récif, étoile
À n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

On a la sensation de ce papier blanc, de ce vide mystérieux où poser la plume et la goutte d’encre faisait pour Mallarmé un rite abordé craintivement. Le vers ici ne désigne que la coupe levée aux doigts du poète, la coupe sur le vide, sur la mer, écume vivante peut-être, — littéralement le panache mousseux un instant fleuri entre des parois de cristal. Voyez : des images qui ne se suivent pas, mais, comme les sirènes mêmes, entre un jaillissement et une disparition, plongent, s’appellent, se présentent de flanc, sous un rayon, en un chœur, comme une écharpe. De ce frêle verre de Murano, le jeu poétique fait jaillir, toutes voiles dehors, un Bucentaure de poètes. Ici le Maître, ayant d’un regard dénombré ses amis, s’assure et sourit. Voyez dispersée, puis carguée en la toile coupante, la gerbe fine du dernier tercet ! Pas une phrase, mais une constellation de quinze mots, et, autour, la page blanche. Qu’un écrivain avide d’encre trace péniblement la figure à gros traits : trois points, trois clous de diamant, suffisent ici pour la déterminer, pour en poser, en un ciel platonicien, l’essence.

Cette manière, Mallarmé la pousse à l’extrême dans ses autres sonnets en octosyllabes. Il veut y réaliser, semble-t-il, l’acte pur de l’écrivain devant le papier blanc. Presque plus de construction grammaticale, les verbes tus. Dans le sonnet à Puvis, les mots des deux quatrains sont enfilés sur un fil verbal imperceptible, réduit à son expression la plus simple, l’auxiliaire « a ». Des mots piqués pour circonscrire, avec le moins de matière, le plus possible de silence expressif, voilà le poème.