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Chaque quatrain forme une suite de quatre images dont chacune est engendrée, comme une rallonge, de la précédente. Celles du premier quatrain suscitent, première fleur, de Baudelaire le génie religieux, l’âme que hantent les hérédités catholiques, et, plus lointainement encore, les primitives terreurs religieuses. Ailleurs Mallarmé montre le catholicisme prêtant « des entrailles à la peur qu’a d’elle-même, autrement que comme conscience humaine, la métaphysique et claustrale éternité... puis expirant le gouffre en quelque ferme aboi dans les âges[1] ». C’est la métaphore du sonnet. Quelque chose, comme le chien vigilant et tourmenté dans les ténèbres, aboie vers le mystère. Du temple enseveli, de la religion dont la lettre s’écroule, demeurent cette inquiétude, ce sursaut farouche.

Fleur antique, religieuse, dans le premier quatrain. Fleur « récente », passionnée, fleur du feu dans le second. On peut trouver étrange cette idée de commémorer Baudelaire en accumulant des couches d’interprétations symboliques, même phalliques, autour du manchon Auer. Bouvard et Pécuchet interprétaient ainsi le timon des chars normands.

Le feuillage aride, évoqué dès le début du premier tercet, leur succède naturellement, les enveloppe comme la corolle sèche de leur bouquet artificiel. Mais, intérieure, pure, essentielle, la troisième fleur est l’idée même des Fleurs du Mal, — Celle son Ombre même en laquelle passe une image démentie sitôt que suscitée, absente sitôt que présentée.

Au voile qui la ceint absente avec frissons,

et cette Idée le dernier vers l’exprime toute nue, car il est la paraphrase même du tilre baudelairien, — belles et vénéneuses —

Toujours à respirer si nous en périssons,

  1. Divagations, p. 300.