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Je laisse de côté les sonnets baudelairiens, à forme classique, du début, le Pitre châtié, le Sonneur, Renouveau, Tristesse d’Été : ils sont taillés sur le patron de l’école. Remarquons cependant que ce sont des « sonnets irréguliers » et ce mot faisait maugréer, peut-être à bon droit, Gautier. Si Mallarmé appréciait la forme du sonnet, il ne la réalisait qu’avec des difficultés, et jusqu’au bout il écrivit des sonnets irréguliers, sans retour de rimes aux quatrains, s’autorisant de l’exemple de la Renaissance anglaise[1].

L’Hommage à Wagner, sonnet de transition, reste très classiquement composé. Premier quatrain : le vieux décor, le vieux théâtre, sur qui la poussière figure la banalité, le déjà vu. Second quatrain : la vieille poésie, qui n’est plus un chant ailé, mais une matière de bibliothèque.

Enfouissez le moi plutôt dans une armoire.

Tercets : Le théâtre régénéré par la musique wagnérienne, dont le rayonnement transfigure aussi le Livre. Le premier quatrain correspond au premier tercet (théâtre ancien — théâtre nouveau), le second quatrain au second tercet (livre mort — livre vivant) et le sonnet est construit sur les deux motifs entrecroisés du théâtre et du livre.

Il y a là enchaînement d’images au moyen d’une idée. Mais dans les sonnets qui suivent, et où la manière de Mallarmé atteint ses extrémités logiques, tout énoncé de l’idée disparaît. La suggestion et l’allusion deviennent les deux seules puissances maîtresses, et le sonnet, au lieu d’être un complexe enchaîné et organique, devient une juxtaposition d’images qui s’exhalent, sans se grouper, ni s’ordonner, autour d’une émotion.

Je choisis pour exemple deux des sonnets jugés les plus obscurs, l’Anniversaire de Verlaine, et le Tombeau de Baudelaire.

  1. Divagations, p. 34.