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dimensions de la locomotive et des wagons font, selon Wells, trotter devant eux l’ombre du cheval dépossédé ? Et si M. Vielé-Griffin parvient souvent à cette réussite, c’est que précisément son vers libre n’existe pas par lui-même, mais vit dans une strophe, dans une phrase rythmique, unité véritable. Ce rôle moteur et transmetteur, que, dans la poésie, Mallarmé attribue à la rime, il est tenu, ici, par tout le vers rythmiquement, non oratoirement, — et la rime elle-même, vaporisée dans la pluie des assonances, ne se dépose autour de la strophe que comme aux flancs du vase la buée de l’eau intérieure.

Sur les limites de l’ancienne et de la nouvelle rythmique, le vers de Mallarmé prend une importance très précise, et, d’un caillou blanc lavé à des eaux de diamant, marque une date, nettement. Dans la mince tranche de son œuvre il a su renfermer les secrets sûrs et les plus charmants de la poétique traditionnelle ; ils ont pris sous sa main les tons crépusculaires, transfigurés, des perles qui vont mourir... Mourir, non, mais que touche, comme une musique et comme un rayon, l’appel de l’eau, des profondeurs, des grottes, où déposées, selon la légende, elles retrouveront leur orient.