Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même dans sa gloire est une essence de périphrase qu’il faut presque deviner. Le vers devient alors original et magnifique. L’ampleur du long adverbe nuancé, dans la voix, d’un accent d’or, brûlé comme un couchant qui tient tout l’horizon ; l’assonance sur la voyelle contractée ; puis le monosyllabe final familier à Mallarmé, qui, tombant de la brève, clôt le vers comme s’il équilibrait par son poids l’adverbe d’or auparavant déployé, — tout cela est extrêmement supérieur au vers fort bon, mais de production ordinaire et courante, qui commençait le premier sonnet.

Le second vers répand, par des images moins virtuelles, plus sensibles, cette même coulée de la lumière. Dans le premier texte, aucun des quatre membres ne faisait image : ils étaient, sauf le dernier, presque des signes abstraits. Ceux du second suscitent au contraire une vision confuse, mais triomphale. Le vers éclate comme

Trompettes tout haut l’or pâmé sur les velins

et n’a comme lui qu’une valeur musicale et sensuelle. Chacun des quatre membres pend en une nuée incertaine et glorieuse. Au contraire de la version première, il a pour espace et pour atmosphère les demi-muettes où ces nuées paraissent se dégrader et se fondre, gloire, écume, tempête. — Le premier texte plaçait or de façon à lui enlever, par le voisinage de la syllabe accentuée et de l’r qui le suit, toute résonance et tout lointain. L’artifice de l’accentuation et de la ponctuation fait dépasser réellement au vers définitif, en lui donnant six accents forts, le compte apparent de treize syllabes, la finale d’écume et celle d’or étant comptées dans la voix au même titre que celle de gloire : le coucher de soleil s’épanouit, flotte et poudroie dans son rythme propre en débordant le rigide vase syllabique qui le porte.

Le troisième vers, lui aussi, l’image tout à fait changée, est devenu plus riche, plus étoffé, plus musical. Une millième fois a été trouvé par Mallarmé sans doute