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Il me suffit, par ce crayon, de l’évoquer dans son abord superficiel et coutumier, de mettre, comme un encouragement et une promesse, au seuil de ce génie complexe et obscur, cette facilité d’accueil et cette stricte élégance de geste. Le voici, dans la petite taille qui le fait discret, derrière la fumée de tabac qui le fait lointain : de ses longues paupières, des portières vivantes, mouvantes, ainsi que sous une main, qui derrière son rêve l’isolent, glisse et luit, pour vous seul, dirait-on, ce regard long de fleur assombrie, pensive. Dans cette urbanité goûtez une ombre qui descend de cette poésie pure pour vous guider à ses approches. Comme cette poésie, elle ne s’impose et ne se répand point par une façon encombrante. Si sans la voir vous passez à côté, elle ne vous poursuivra pas. On ne la connaît qu’en disposant autour d’elle, comme son calice ou son horizon, le silence qu’à demi elle maintient, qu’elle écarte à demi.

Ainsi la figure de courtoisie sous laquelle dès l’abord nous avons aperçu le poète, déjà pour nous se replie vers son intérieur, se confond avec les lignes de sa poésie. Mallarmé facilite, ordonne à la critique ce devoir : parlant d’un poète l’apercevoir entier construit comme un poème, par une intelligence poétique. Dans tout ce que son œuvre nous dévoilera de lui ne cherchons que les éléments d’une poésie ; ne reconnaissons en lui d’existence que celle qui, selon sa parole, aboutit au livre, un peu au livre écrit, beaucoup au livre rêvé.