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Le principe de Boileau sur la rime esclave contredit exactement la loi du lyrisme telle qu’après Banville la discerne Mallarmé. À vrai dire, chez un lyrique idéal, illimité, comme Victor Hugo, il n’est plus, de poète à rime, ni maître ni esclave, mais une seule, indiscernable et unanime volonté. Et Mallarmé, à propos de Banville, l’indique avec une fine justesse, admirant sa rime « parce qu’elle ne fait qu’un avec l’alexandrin qui, dans ses poses et dans la multiplicité de son jeu, semble par elle dévoré tout entier comme si cette fulgurante cause de délices y triomphait jusqu’à l’initiale syllabe[1] ».

Vieux problème de la nécessité et de la liberté que les philosophes accordent en faisant de la liberté le consentement à la nécessité ; attitude, selon Pascal, des hommes qui, ne sachant faire que ce qui est juste soit fort, établissent que ce qui est fort sera juste. Ne pouvant, ne voulant ployer la raison à la rime, le lyrisme, par son miracle transfigurateur, donne au sens de la rime, ramené en esprit jusqu’à la première syllabe du vers, la prérogative d’une raison supérieure. Le principe de Banville, que le vers est dans la rime, implique que la rime gouverne déjà, dès la première syllabe, tout le vers.

Dans une telle doctrine, le xviie siècle n’eût vu qu’un paradoxe erasmien, un Éloge de la Folie : car son vers (La Fontaine à part) est fait pour exprimer des raisons et nul ne songerait à demander à la rime des raisons. Malherbe, dans les lignes que j’ai citées, lui demande des « pensées » chez lui discontinues, pénibles, « quêtées ». Mais le vers romantique ou parnassien a pour fonction de dérouler un sentiment ou d’évoquer des images, plus extérieurement ici et là plus allusivement. La rime est alors propre à canaliser le sentiment fluide ou à susciter des associations d’images. D’une rime à une autre le poète fait du vers

  1. Divagations, p. 226.