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lui s’évoquent d’autres mots et cristallise un vers, une strophe, un poème. (Et quelque chose d’analogue se passe d’ailleurs dans toute organisation poétique.) Mais il peut rester isolé. Ainsi Palmes ! dans Don du Poème, qui paraît simplement un repos, un vide et comme un interrègne de l’imagination liée. Il s’expliquerait, si l’on veut, sur la page que révèle l’aurore, comme une offrande de gloire solitaire et noble ; tout au moins il en propage, musical, le sentiment ; mais il a dû s’imposer, comme la Pénultième, du dehors, et sur le poème il flotte sans s’y mélanger. Le travail postérieur ne vous permet pas de discerner, parmi les mots ensuite survenus, dans le jeu de l’esprit poétique et la disposition des rimes, le vocable initial. Pourtant il semble bien que le sonnet Ses purs ongles soit aménagé sur le mot lampadophore. Plus curieusement,

Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos

nous présente le même dessein que la Pénultième — Est morte. Paphos s’impose, comme une hallucination niée par l’esprit en même temps qu’elle se produit aux sens. Paphos — Est mort. Les treize vers qui suivent développent le Est mort selon un admirable motif de rêve, jusqu’à l’éclat de l’image finale « la corde tendue de l’instrument de musique » fil qui porte comme son fruit de cendre impondérable le « sein brûlé d’une antique Amazone ».

Mallarmé sent intensément cette présence des mots. Chacun, pour lui, semble s’isoler, « d’un lucide contour, lacune ». On dirait que son regard étrange, son œil fin de diamant méditatif et mobile, pénètre dans le papier jusqu’aux racines du mot, qu’en elles il s’ingénie et se perd. Il conçoit l’essentiel de la poésie comme le fait d’écarter toute connaissance, sauf « une piété aux vingt-quatre lettres, comme elles se sont, par le miracle de l’infinité, fixées en quelque langue, la sienne, puis un sens pour leurs symétries, action, reflet, jusqu’à une