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CHAPITRE IV

LES MOTS

Si Mallarmé écrivit peu, son œuvre rare nous donne la fleur d’un très grand labeur linguistique. Il s’attacha avec ferveur à connaître sa langue. Il se posa à ce sujet les problèmes les plus désespérants, les plus insolubles. La parole fut vraiment le soleil de son monde intelligible, sauf qu’il préféra encore à sa clarté directe sa lumière réfléchie, son clair de lune, qui est certain silence. Il eut plus que personne « le culte du vocable... lequel n’est, en dehors de toute doctrine, que la glorification de l’intimité même de la race, en sa fleur, le parler »[1].

Le mot, pour lui, revêtait une existence très présente et presque hallucinatoire. Le Démon de l’Analogie nous met dans les mains une des clefs de sa « noble faculté poétique ». Enveloppé de musique et de mystère, un mot souvent s’impose à lui, non par sa signification, mais par son corps, qui est sa forme typographique, par son âme, qui est sa sonorité, ou par un secret plus intérieur encore qui ne prête pas à Mallarmé d’autre concept que celui, vide et familier, de « hasard ». Il est, et sans autre raison se légitime par cette existence. Autour de

  1. Villiers, p. 35.