ce qu’il y a de plastique, d’immobile, une accumulation rigide, dure et froide, serve précisément à exprimer la déchéance.
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
Ce dur lac oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ?
Je prendrai ailleurs dans la main le marbre menu et pur de cet idéal sonnet. Mais ce premier quatrain, isolé, ici, suffit, je crois, à nous montrer juxtaposés, un peu hostiles, les deux ordres d’images et de figures qui en se distinguant se mettent l’un l’autre en valeur dans la poésie de Mallarmé. D’un côté une ampleur de passé à forme d’espace, de l’autre une pointe d’instant, un visage vivant de durée. Et le premier paraît plus fort, le second nous devient plus cher, de cette captivité même. L’instant, l’état de grâce, va-t-il se libérer de la prison de glace, pareille à la prison de pierreries où son orgueil enferme d’abord Hérodiade ? Les esprits de la musique et du ballet vont-ils s’épanouir au-dessus d’un envieux décor déserté ? Mais, des figures calmes et sculpturales aux figures de la flexion et du vol, des racines de la forêt à l’ « instrument des fuites, » le même genre subsiste, et la transition ne s’interrompt point. Le passé et l’aujourd’hui, le dur lac et le coup d’aile ivre qui s’apprête vainement à le fuir, sont faits de la même blancheur, comme la même eau compose et la glace et les vapeurs qu’élève une haleine de soleil. Pour revenir enfin aux termes que j’essayais d’éclaircir, l’image motrice, dans ce sonnet, est poétiquement éprouvée parce que pèse sous elle l’image arrêtée, visuelle, et que la dureté de l’eau gelée suscite l’aile immatérielle. Ainsi les formes de l’imagination, chez Mallarmé, autour des divergences apparentes que je n’ai pas essayé de dissimuler, ordonnent d’elles-mêmes une figure que, symbolisée par ces quatre vers, nous pouvons inscrire dans une conception harmonieuse et claire de l’esprit.