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ce qui fait penser à un automne sous les cieux[1] ». Voilà le groupe d’images au moment où, se disposant dans une figure, il passe du mouvement au repos. La rêverie, dans la solitude, s’épure en idée, le sanglot en lumière, le hasard, l’accident, l’instant sont désertés par la présence suspendue d’un Automne éternel.

Le Tombeau de Gautier, les Sonnets sur Baudelaire, Poe, Wagner, Verlaine, résument et symbolisent l’œuvre de chaque poète en un « paysage emblématique ». Le morceau de Divagations : Autrefois, en marge d’un Baudelaire, montre curieusement comment des images, après la lecture, se groupent pour former ce paysage, peut-être suggéré par quelque page analogue de Gautier dans la Préface des Fleurs du Mal.

« Un paysage hante intense comme l’opium : là-haut et à l’horizon, la nue livide, avec une trouée bleue de la Prière — pour végétation, souffrent des arbres dont l’écorce douloureuse enchevêtre des nerfs dénudés, leur croissance visible s’accompagne malgré l’air immobile, d’une plainte de violon qui, à l’extrémité frissonne en feuilles : leur ombre étale de taciturnes miroirs en des plates-bandes d’absent jardin, au granit noir du bord enchâssant l’oubli avec tout le futur[2]. »

Le dernier tercet du sonnet sur Poe,

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur,
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du blasphème épars dans le futur !

tout en dessinant ce geste, familier à la poésie de Mallarmé, d’autorité inflexible et douce qui l’unit par un fil invisible à sa conversation, esquisse comme un pressentiment du Balzac de Rodin. Il est curieux de retrouver la même figure dans une page de Schopenhauer que sans doute Mallarmé ne connaissait pas : « En tout genre l’excellent est réduit à l’état d’exception, de cas isolé,

  1. Divagations, p. 46.
  2. Divagations, p. 59.