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souplement piquées. Piquées, jamais plaquées. Autant que le cliché, lui répugne l’image plaquée, bien que personnelle, l’image amenée du dehors, pour une comparaison, non digérée par l’idée, non assimilée.

Parfois il la dérive comme un biais de l’usage commun, ne fait que souligner d’un trait l’image fournie par la langue. Ainsi le « sifflet » de la phrase sur Whistler.

Miroir
Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée

sollicite pour lui donner une raison nouvelle la métaphore commune qui nomme le miroir une glace, — la sollicite et la dépasse : si Pascal eût trouvé — et pourquoi pas ? — ce vers chez quelque précieux de son temps, peut-être l’eût-il médité et noté : miroir, création de l’ennui, fantôme du faux divertissement où se reconnaît la vanité… Nous sommes encore sur les confins de la périphrase explicative.

Mais son goût de l’image raccourcie et rapide fait parfois revenir Mallarmé à des tropes d’apparence surannée, au vieil hypallage, qui est à la métaphore ce que le troc est au commerce, et qui est fréquent dans ses premiers poèmes.

… Le ciel errant de ton œil angélique
… La fauve agonie
Des feuilles

(Soupir.)

De grandes fleurs avec la balsamique Mort

(Les Fleurs.)

… Le parfum désert de ces anciens rois
… La lourde prison de pierres et de fer
Où de mes vieux lions traînent les siècles fauves

(Hérodiade.)

Ce dernier est saisissant, personnifiant la durée brute d’un siècle dans les bêtes monstrueuses. À partir de la Prose pour des Esseintes une concentra-