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joues héroïques l’enflamment et du vent de l’inspiration la rejettent en fumée : sachant que ce n’est là que les ficelles elles-mêmes, défaites et vaines[1]. »

Cette autre fait songer, d’abord, à la définition que l’on a donnée du sonnet de Soulary, Rêves ambitieux : une noix de coco sculptée par un forçat. Mais si je la relis, elle me paraît émerveillante d’une plus haute beauté, et, dans la multiplicité de fragments unis par une même armature, consubstantielle au vitrail même : une bombe, on sait, avait féru le poète de Vitraux, M. Laurent Tailhade.

« Rien, malgré l’accident politique intrus en la pure verrière, je sais celle qui vous occupe, Tailhade, n’y périclita : cuirassée de fragilité à l’épreuve par le préalable bris plombant sa diaprure, dont pas un enflammé morceau d’avance comme la passion le colore, gemme, manteau, sourire, lys, ne manque à votre éblouissante Rosace, attendu et par cela qu’elle-même d’abord simule dans un suspens ou défi, l’éclat, unique, en quoi par profession irradie l’indemne esprit du Poète[2]. »

Du même fonds, il a cultivé avec un goût amusé cette forme de la métaphore qu’est la périphrase. Voici le chapeau : « la si noire plate forme égalitaire chue sur les calvities, qui y séjourne ». — La bicyclette « la monotonie d’enrouler entre les jarrets, sur la chaussée, selon l’instrument en faveur, la fiction d’un éblouissant rail continu[3] ». En général la périphrase du xviiie siècle donne au mot, pour substitut, une description, peint et ne nomme pas. Différente, la périphrase de Mallarmé est une explication, une interprétation idéale, un appel et une interférence d’analogies d’où seulement est banni le mot à commenter, non comme vulgaire, mais comme rendu inutile par l’évocation de son Idée. « Au gré de détours, une porte par sa main poussée sur quelque lieu

  1. Dernière Mode, n° 3.
  2. Divagations, p. 93.
  3. Divagations, p. 255.