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-d’œuvre est la tirade connue de Trissotin. Mais un Chateaubriand, un Victor Hugo font des métaphores qui ne se suivent pas, en tout cas des métaphores courtes; passant hardiment de l’une à l’autre, rayant celle d’un vers par le vers qui le suit

Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous excepté de sa mère,
Et que son cou, ployé comme un frêle roseau,
Fit faire en même temps sa bière et son berceau
Cet enfant que la vie effaçait de son livre…

Ceux qui se moquent du vers de Malherbe

Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion…

ou du vers de Barbier

Centaure impétueux tu pris sa chevelure

ignorent ce qu’est le mouvement poétique[1].

La métaphore prosaïque, patiemment allongée, touche à la préciosité, et il est naturel que Mallarmé ait eu pour elle quelque goût. Je cueille celle-ci dans la Dernière Mode. Il s’agit de théâtre.

« Il y a ceux qui s’aventurent d’un pas certain, un feu pur aux pommettes et du blanc à la semelle, sur un câble tendu (et Scribe n’en est point) ; mais que dire de ces autres qui s’amusent d’abord à l’effiler, ce câble, en mille brins subtils, rêts tout au plus propres à ne pas prendre des idées, puis, cette tâche accomplie, ne font plus rien de tant de ficelles ?...

« Cependant je ne lâche point les métaphores quand elles sont mauvaises ! on a eu la corde et on aura le reste ; je veux l’étoupe, chère aux pîtres qui dans leurs

  1. Comparer aux observations que fait Rodin dans l’Art sur la statue de Noy par Rude.