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nue et frustrée à grand soin par l’arrangement social »[1]. Mais la même vision, en nous suivant au coin du feu, nous installe, ouvreuse, dans une autre vérité, « vu que si le vieux secret d’ardeurs et splendeurs qui s’y tord, sous notre fixité, évoque, par la forme éclairée de l’âtre, l’obsession d’un théâtre encore réduit et minuscule au lointain, c’est ici gala intime[2] ». Pareillement, à chacune de ses vues subtiles sur le théâtre, le lustre fournit une métaphore, et je crois bien qu’il en est chez lui, pendeloques de cristal, une dizaine.

Mallarmé est un artiste en métaphores rares, jolies, délicatement filées. Il faut étudier leur jeu spontané dans sa prose d’abord : le vers ne lui paraît admettre, en général, la métaphore qu’à l’état d’essence. Précisément à cause du caractère didactique que la prose revêt pour lui, vis-à-vis du vers, la métaphore brève, à forme d’images, y cède souvent la place à cette métaphore allongée, voire méthodique, à forme de comparaison. La comparaison suivie peut charpenter d’ailleurs, comme sa plus naturelle solive, une exposition : la métaphore développée des membres et de l’estomac a fourni assez de bois à toute une bibliothèque sociologique ; celle de la maison, reprise de Descartes, se poursuit d’un bout à l’autre des Origines de la France contemporaine, où elle en croise tant d’autres laborieusement équarries. Au contraire de cette comparaison, la métaphore des poètes demeure volontiers inachevée, illogique, admet à collaborer par ses hiatus l’imagination du lecteur. Lorsque Gautier se vante d’amener je ne sais combien aux machines de foire qui évaluent un coup de poing et de faire des métaphores qui se suivent, il puise aux sources les plus naïves son double orgueil de mâle et d’écrivain. Les métaphores qui se suivent rigidement se ramènent à une comparaison dont un des termes reste perpétuellement tracé sous un décalque minutieux ; son chef--

  1. Divagations, p. 154.
  2. Divagations, p. 157.