Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

logiquement à toutes images, qui sont des artifices de l’intelligence. D’autre part, s’il est aujourd’hui un trouveur d’images, c’est bien ce Bacon du monde intérieur qu’est M. Bergson. Il semble que chez lui, un peu comme chez Mallarmé, les images soient en effet des arrêts, des coupes faites sur une pensée dont l’essence, pas tout à fait invisible, est le mouvement. On reconnaîtrait peut-être, à côté du visuel spontané — Hugo, Flaubert, Heredia, — un type moteur par nature, mais visuel par réflexion et par nécessité d’écrire. Il se peut d’ailleurs aussi fort bien que chez M. Bergson ce soit cette nature motrice qui constitue l’élément superposé par réflexion, dicté par l’intelligence et le besoin de serrer de plus près la vérité.

L’évolution de Mallarmé a consisté précisément à se libérer ici de la discipline et de la contrainte parnassiennes d’abord imposées, à placer plus près de son monde d’images qu’aucun poète sa poésie. Les pièces insérées dans le Premier Parnasse sont construites généralement autour d’images plastiques. Le premier poème pleinement mallarméen — le chef-d’œuvre aussi du poète — fut la seconde version de l’Après-Midi d’un Faune. Quand les rédacteurs du Second Parnasse l’eurent refusé, Mallarmé, probablement dans un sursaut d’inquiétude et avec quelque mauvaise conscience, en revint aux images plastiques, et composa la version publiée d’Hérodiade. Ce poème baudelairien de l’artificiel est lui-même construit dans un artifice, par une contrainte que Mallarmé inflige à sa nature. Ce bûcher somptueux, semé de métaux et de pierreries, est dressé à la fois pour l’apothéose et pour les funérailles du Parnasse. Mallarmé ferme sur son passé cette porte d’or, et de rares sonnets épars, la Prose pour des Esseintes, ramèneront intacte et fidèle la forme originale d’images devant laquelle, peut-être, après son Faune, il avait un moment paru hésiter. Comme le merle de Musset, il ne prit pas tout de suite son parti d’être blanc.