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damneront, mais aussi Boileau, qui renverra Molière au sac ridicule de Scapin. Voir rosser sur la scène ne plaît qu’aux enfants et aux simples. Et la pureté de l’art classique réside en partie dans cette inhibition généralisée, inhibition intérieure par la volonté chez Corneille, par les bienséances chez Racine, inhibition extérieure par les règles d’un art strict et les trois unités. Renouvier à la fin de sa vie voyait dans une « nolonté » la forme supérieure de la volonté. C’en est en tout cas la plus haute forme artistique. Et par ce détour, que j’ai fait pour que l’on touchât les dessous d’une image motrice, ne rejoignons-nous pas la théorie mallarméenue de l’absence ? Le mode d’images habituel à Mallarmé, la contrainte qu’il implique, ne les replaçons-nous, sinon comme des formes, du moins comme des vapeurs, sur une route ancienne ?

« Penser, dit Mallarmé, étant écrire sans accessoires[1] », il marque des affinités avec un type scribomoteur qui est peut-être assez rare. En tout cas, à cette prépondérance des images motrices je crois qu’il faut donner une grande importance. M. Ribot nous prie, je le sais, de ne pas confondre l’imagination créatrice avec les images qui sont ses matériaux. « Le procédé qui prétendrait fixer les diverses orientations de l’activité créatrice d’après la nature des images n’irait pas plus au fond des choses qu’une classification des architectures suivant les matériaux employés (monuments en pierres, en briques, en fer, en bois, etc.) sans souci des différences de style »[2]. Mais plus loin c’est précisément par les types d’images que M. Ribot caractérise principalement l’imagination plastique et l’imagination diffluente. Et sa comparaison sert pour la thèse qu’elle semble combattre. Tous les grands styles de l’architecture ont leur origine dans les matériaux qu’ils mettent en œuvre ou dans la survivance de formes

  1. Divagations, p. 242.
  2. Essais sur l’Imagination Créatrice, p. 150.