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raires : « La tombe, disait-il sur celle de Verlaine, aime tout de suite le silence. »

Il n’y faut qu’observer un milieu juste et des convenances. Un portrait par Whistler, en tête du florilège Vers et Prose, évoque, comme le poète l’a voulu, sa figure en quelques traits sobres et choisis, de crayon. Et s’il est vrai qu’étudiant son œuvre nous ne mettrons jamais avec trop de diligence et de soin la plume à la main, le crayon doit nous suffire pour indiquer en sourdine sa présence familière.

Sa vie extérieure fut toute simple et unie. Comme Boileau et Voltaire il appartenait à une bonne et quelque peu vieille famille de bourgeoisie parisienne, de fonctionnaires. Mais il était pauvre. Ayant écrit de bonne heure pour le premier Parnasse d’admirables vers, timide, ignoré, de Muse un peu délicate et pudique, il s’assura vite une petite place indépendante qui lui permît de vivre et d’écrire en paix. Il enseigna l’anglais en des lycées de province, et, peu après la guerre, dans ceux de Paris. Il eut une vie de famille, un intérieur probablement heureux. Il aimait sa maison, et aussi, vu du dehors et de haut, le mouvement de l’existence littéraire. Il le regardait, à ses mardis, s’arrêter sous ses regards en un bassin curieux, lui révéler sa profondeur, le sens de son courant. Il travaillait dans une solitude morale, ne recherchant que l’essentiel et le décisif. Ses quelques dernières années, libérées de l’enseignement, furent paisibles, reposées, peut-être un peu mélancoliques. La mort le surprit sur une grande tâche : même surprise et même tâche interrompue, sans doute, s’il eût vécu plus longtemps et beaucoup. La mort le surprit sur un grand rêve : attitude naturelle et nécessaire, aux minutes suprêmes, chez qui ne vécut que pour le rêve.

J’essaierai, étudiant les éléments de sa poésie, de discerner ce qui, d’un tempérament très spécial, de profondeurs vivantes, ténébreuses, est monté, a circulé dans ses écrits. Il convient seulement, par ce crayon, d’esquisser de sa physionomie les traits extérieurs qui la