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Alors m’éveillerai-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys ! et l’un de vous tous par l’ingénuité.

À la couleur propre il demande rarement ses images et paraît plutôt fatigué, blessé par ce qui éclate (L’Azur). Rien chez lui n’atteste cette vision directe, cette puissance de santé et de joie dans la couleur tonique, qu’eurent Hugo et Gautier, leurs rouges vigoureux et sains de bouchers.

Rouge comme la peau d’un taureau qu’on écorche.
La ville semble un rêve aux lueurs de ma torche

crierait Hugo avec son Colosse de Rhodes. La couleur préférée de Mallarmé, celle qui sans cesse revient dans ses images, — lys, cygnes, neiges, glaces — c’est le blanc, à la fois synthèse, pour l’œil, des couleurs, et, pour le peintre, leur absence. Sans doute il goûte dans le blanc cette figure de l’Absence qui plane sur toute sa poésie, ce symbole de la couleur qui se tait, de la virtualité frémissante, du silence posé. Il va de soi que, du même fond dont Banville voit Pierrot

Blanc comme Églé qui dort auprès d’un ami sien,

il aperçoit le même Pierrot « fantôme blanc comme une page non écrite[1] ». Je l’imagine, enfant, pareil à son gamin de cirque « au bonnet de nuit taillé comme un chaperon de Dante ; qui rentrait en soi, sous l’aspect d’une tartine de fromage mou, déjà la neige des cimes, le lys, ou autre blancheur constitutive d’ailes au dedans[2] ».

Très lié avec Manet, Whistler, il ne s’attacha que très peu aux correspondances picturales des mots, leur préférant celles de la musique. Il n’écrivit rien en critique d’art, sinon, comme tout le monde, une préface à un

  1. Divagations, p. 186.
  2. Divagations, p. 25.