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rien quand ils entendent de la musique. Mallarmé demande à la musique les suggestions de quelqu’un qui n’est pas musicien. Aux concerts il se plaît à noter des correspondances : « Le piano scintille, le violon donne aux fibres déchirées !a lumière[1]. » « Une conscience partielle de l’éblouissement se propage, au hasard de la tenue de ville usitée dans les auditions d’après-midi : pose, comme le bruit déjà de cymbales tombé, au filigrane d’or de minuscules capotes, miroite en le jais ; mainte aigrette luit divinatoire. L’impérieux velours d’une attitude coupera l’ombre avec un pli s’attribuant la coloration fournie par tel instrument. Aux épaules, la guipure, entrelacs de la mélodie[2] ». C’est « la voix d’un ténor allant retrouver au balcon, aux loges, au plafond et parmi le lustre, l’or partout prodigué pour lequel est faite la voix des ténors[3] ». Il fait

Dans la considérable touffe
Expirer comme un diamant
Le cri des Gloires qu’il étouffe

(Quelle soie.)

Quand chez lui l’image visuelle apparaît nue, elle a une tendance à s’amenuiser, à devenir plus grêle, à se détacher précairement sur une immensité vide. Voyez toutes ses images de la nature, du Livre, du ballet. Étudiez à ce point de vue le Nénuphar Blanc. Ainsi l’image qui accompagne souvent telles nuances de sa rêverie, celle des branches extrêmes d’une forêt ou d’un arbre. Ainsi l’image, fréquente aussi, des fleurs, surtout du lys. Le vers, droit sur le blanc de la page, l’évoque. « Voici les rimes dardées sur de brèves tiges accourir, se répondre, tourbillonner coup sur coup[4]. » Et n’est-ce point, sur sa tige, exactement une des hautes fleurs toutes vierges et toutes blanches que ceci :

  1. Divagations, p. 8.
  2. Divagations, p. 229.
  3. Dernière Mode, nº 5.
  4. Divagations, p. 216.