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comme glissant du visage par l’excès de leur sourire, de leur passion, de leur offrande, les roses, sur l’oreiller, des joues fleuries. Rappelez-vous pourtant le sonnet de Ronsard,

Vous êtes le bouquet de votre bouquet même.

Chambres closes de Victorieusement fui et de Quelle soie aux baumes de temps, plein air de rivière dans Quelconque une solitude, figurent également les tableaux de genre dans un Musée galant du xviiie siècle. Musée, aussi, de fragments et d’éludés. Torse ou tête seule que l’on prend et que l’on retourne comme une pièce rare, ainsi que lui-même, par ces vers, recueille dans ses mains et choie sous ses yeux une tête de femme, trésor.

De ces souvenirs amoureux ne demeurent pas des traits plastiques pour les yeux, des rythmes d’attitudes (même ces roses qui tombent, essayez de les réaliser sous votre regard !) : c’est un flottement de chair qui s’exhale, bercée et soutenue, comme Psyché, par les Désirs, un mouvement de mains enlaçantes et tendres, des fonds de chevelure fluente. Toujours y circulent et s’y mêlent, d’un vers à l’autre, des visions et de la musique ; des images, comme des danseuses sous un jeu de lumière, tournent d’un sens à un sens, s’échappent du toucher vers le monde visuel et sonore en retenant sur elles la caresse prolongée des mains.

Cette fuite inquiète de l’image, par une correspondance ou une analogie, hors d’un sens vers un sens autre, elle s’est reliée un moment au symbolisme, ou plutôt à ceux de ses vagues entours où M. René Ghil commentait le sonnet de Rimbaud sur les Voyelles. (Rappelons que Mallarmé rédigea une préface pour son Traité du Verbe.) La poésie ne gagna rien du tout à l’intérêt que purent exciter les recherches des psychologues sur l’audition colorée. Mais il existe fréquemment chez Mallarmé une correspondance entre les images de la vue et celles de l’ouïe. Les unes trouvent dans les autres leur traduction spontanée.