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doctorale, comme une robe, autour de la marche de quelques messieurs délicieux[1]. ». Et il se demande si devant ces cloîtres il ne faudrait pas évoquer un avenir plutôt qu’un passé, les envier à la fois pour une France jalouse qui leur est hostile et pour un futur espéré qu’ils embelliraient. Puis il s’arrête : l’hostilité française n’est-elle pas plus propice à l’isolement dans le songe que cette bienveillance et ce concours britannique ? Faut-il priser « des états de rareté sanctionnés par le dehors, ou qui purement ne sont l’acte d’écrire ? » Notre dignité ne consiste que dans la pensée : ce qui la reconnaît de l’extérieur l’amoindrit et la nie dans la mesure où il la consacre.

Et par la haute oraison qu’il prononce sur la tombe de Verlaine, il ressaisit au nom de la Poésie le « triste et fier honneur » du malheur et de l’isolement. Il exalte en Verlaine une figure d’héroïsme : « Seul, ô plusieurs qui trouverions avec le dehors tel accommodement fastueux et avantageux, considérons que — seul, comme revient cet exemple par les siècles rarement, notre contemporain affronta, dans toute l’épouvante, l’état du chanteur et du rêveur. La solitude, le froid, l’inélégance et la pénurie, qui sont des injures infligées auxquelles leur victime aurait le droit de répondre par d’autres volontairement faites à soi-même — ici la poésie a presque suffi — d’ordinaire composent le sort qu’encourt l’enfant avec son ingénue audace marchant en l’existence selon sa divinité : soit, convint le beau mort, il faut ces offenses, mais ce sera jusqu’au bout, douloureusement et impudiquement. Scandale, du côté de qui ? de tous, par un répercuté, accepté, cherché ; sa bravoure, il ne se cacha pas du destin, en harcelant, plutôt par dépit, les hésitations, devenait ainsi la terrible probité[2]. »

À se poser la question de l’existence même des Lettres,

  1. Divagations, p. 323.
  2. Divagations, p. 78.