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plus jeunes, comme l’aile de l’ange tombé, sa grande ombre de désenchantement. Tout homme qui écrivait autrement que comme un manœuvre ou un bureaucrate exhala l’inquiétude, la mélancolie chagrine de René. Chercher comme Boileau dans un paisible délire la rime sous les ifs d’Auteuil et la cueillir au chèvre-feuille, ne suffit plus au poète, et c’est vers toutes les joies, les responsabilités ou les trônes que le portent l’impatience et la fureur d’un génie extravasé. Faguet remarque que Victor Hugo et Lamartine diffèrent en ce que le premier se croyait homme politique parce que poète, le second quoique poète. Soit, mais cet écart est minime, et d’inverses destinées le compensent : c’est entre les ailes d’or du cheval divin, conduit par la Révolution, que Lamartine fait en Février son entrée à l’Hôtel de Ville, — et lorsque Victor Hugo prend le chemin des îles anglaises, l’exilé, c’est le songeur d’honneurs politiques, non certes le poète qui, par son apothéose de Napoléon, lui aussi, a fait l’Empire.

Et l’Empire, à son tour, fit le poète. D’avoir dix-huit ans tenu Victor Hugo à Guernesey, de l’avoir, en brisant sa divagation politique, contraint, par un forçage de serre, à accumuler, pour ne point périr d’ennui, un Olympe de poésie, Napoléon III tire son meilleur droit à notre gratitude. Les marins grecs, en voyant fumer les volcans de Lemnos, évoquaient l’atelier de Vulcain, et, peut-être, quand à l’horizon de l’île le soleil du soir éclatait sur les flots, songeaient-ils que Thétis emportait de la forge, avec la clarté décroissante, le bouclier homérique d’Achille. Les poètes français, à la fin, s’habituèrent à ce que fumât sur leur ciel, dans l’île poétique, l’atelier du dieu.

Mais le Père est là-bas dans l’île !

chante le refrain d’une ballade de Banville. L’art eut à leurs yeux sa terre de légende. Victor Hugo, peut-être, avait choisi le lieu de son exil du même fonds roman-