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plan oratoire ; c’est la nature et la qualité du vers, du mot, comme dit Mallarmé, incantatoire, vierge, ou des unités rythmiques quelles qu’elles soient. Victor Hugo, de qui relève, par un côté, tout poète, alla plus loin, dans le sens du vers pur, dans l’élimination de la pensée discursive et de l’élément élocutoire, que les plus hardis et les plus raillés des symbolistes : c’est, en effet, la direction de cet absolu que jalonnent les vers faits aux trois quarts de noms propres éblouissants, parfois inventés, traités comme une matière poétique pure. « L’œuvre pure, dit Mallarmé, implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l’initiative aux mots… Chimère, y avoir pensé atteste, au reflet de ses squames, combien le cycle présent, ou quart dernier de siècle, subit quelque éclair absolu[1] ».

Peut-être la poésie forme-t-elle un moyen terme entre la prose et la musique, comme la morale entre la nature et la volonté. S’évader à l’excès de l’une, c’est rompre les liens de la synthèse et une harmonie de la vie. Aussi la préoccupation de l’absolu poétique pose vite chez Mallarmé le problème de la musique.

Mais chez qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien

Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sien,
Filial on aurait pu naître.

À moins que la recherche du définitif et de l’absolu ne le séduisît précisément par la valeur musicale d’un rêve en marche, et non par la beauté plastique d’un idéal réalisé. Immobiliser une forme d’art, même parfaite, serait la proposer en modèle, risquer de créer pour soi et pour autrui un lieu commun. C’est là, pour Mallarmé, un péché originel de l’art, et il s’ingénie à découvrir le

1. Divagations, p. 246-247.

  1. Divagations, p. 246-247