Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si l’écriture tente l’absolu, de quel religieux respect doit s’environner son acte ! Mais tandis que l’écriture est une « preuve », au sens mallarméen, de la pensée, la vie est au contraire une défense de la pensée, une retraite vers elle. De là chez Mallarmé un contraste — d’ailleurs naturel et nécessaire — entre le fanatisme de l’intelligence éprise d’absolu et la timidité courtoise de l’existence, entre l’orgueil de songer à écrire et l’hésitation à écrire.

Son culte à l’absolu, il le rendait sous la forme de ses scrupules. Poète il s’ingénie à exprimer l’insaisissable, — prosateur, à noter, comme le chapeau-chinois de Villiers, des silences, des réticences, des ironies ; — impressionniste, il se défie de l’impression instantanée en songeant à l’éternité du Livre ; — logicien il se défie de la logique qui dénature l’impression en la continuant ; — reconnu comme le causeur le plus délicieux de son temps, il savait que « deux hommes ne se sont, peut-être, malgré la grimace à le faire, entretenus, plusieurs mots durant, du même objet exactement[1] ».

Ainsi toutes ses tentatives, comme un tremplin, le font rebondir vers la recherche de l’essence. Un disciple de Malebranche, le Père André, dans son Traité du Beau, distinguait le Beau essentiel, le Beau naturel, le Beau humain. Hors des deux derniers, qui se partagent tout le monde de l’art, l’effort de Mallarmé fut de discerner et de caractériser le beau essentiel

Gloire du long désir, Idées ;
Tout en moi s’exaltait de voir
La famille des iridées
Surgir à ce nouveau devoir.

Ils tâchent de saisir quelque chose de nu,

dit des poètes Victor Hugo. Et vraiment, plus qu’aucun, Mallarmé vécut, comme son Faune, dans la poursuite

  1. Divagations, p. 342